La Critique du discours by Louis Marin

La Critique du discours by Louis Marin

Auteur:Louis Marin
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Minuit
Publié: 2018-06-15T00:00:00+00:00


FIGURE ET REPRÉSENTATION : LE SUJET.

C'est ce trouble qu'articulent les deux représentations du Moi, comme idée claire et distincte d'une part, comme idée confuse d'autre part. Comme idée claire et distincte, qu'est-ce que le Moi ? C'est la représentation de soi comme une chose qui pense. Du même coup, elle comportera ce double aspect, propre à toute représentation, d'être conçue sur le mode spéculaire d'un moi représentant et d'un moi représenté, mais dans l'unité de la représentation : d'où le paradoxe de l'idée du moi comme idée claire et distincte d'être une représentation, mais dans une proximité sans distance ; identité du même, car ne font qu'un celui qui pense et celui qui se pense pensée et, cependant, dualité dans cette identité, réflexion, représentation.

La représentation du moi occupe, ainsi, dans la liste des idées claires et distinctes, une position unique, puisqu'elle est interprétable sous les deux aspects du modèle général du signe comme représentation. En un sens, en effet, elle obéit très parfaitement à la spécularité du signe naturel où s'effectue, dans une quasi-immédiateté, la substitution du signifiant au signifié, du figurant au figuré, du représentant au représenté9. Mais, d'autre part, je ne peux me représenter le moi que je ne le dise dans son signe verbal. Toutefois, je le dis avec une telle immédiate clarté et distinction10 que /moi/ s'efface dans la représentation de « moi » qu'il me communique, c'est-à-dire que je pense, et dès lors c'est bien moi qui suis présent instantanément à moi-même dans la représentation.

Avec l'idée du moi, le modèle théorique du signe et de la représentation construit par Arnauld et Nicole se heurte dans son fonctionnement au recouvrement, dans le lieu du sujet, de la figurabilité du signe, marque de sa naturalité et de sa représentabilité, marque de son institution. Arnauld et Nicole sortiront de ce problème en scindant le sujet donateur de sens qui articule l'être dans la représentation : il y aura, d'un côté, l'idée claire et distincte du moi comme res cogitans, sujet instantané du discours de la pensée ; et, de l'autre, les figures du désir dont la série enchevêtrée engendre une représentation du moi comme objet de désir. Ainsi le moi s'aime dans sa représentation, mais, objet incapable d'assouvir le désir inconnu qui, sans cesse, produit de nouvelles figures, il signifie par là sa quête et dissimule l'ouverture vide de sa force : ainsi, le moi s'aime comme autre – et perpétuellement autre – dans sa représentation.

Comment le moi peut-il se représenter autre qu'il n'est en effet ? Puisque, rationnellement, l'homme admire ce qui est grand, estime ce qui est excellent, désire ce qui est bien, et puisque, depuis le péché, il est petit, bas, mauvais, il se détournera de lui-même, fuiera sa misère, méprisera sa bassesse en les cachant, par adjonction ou composition à sa représentation de soi d'un grand nombre de choses qui en sont entièrement séparées, et dès lors petitesse et bassesse disparaîtront derrière ces choses qui « grossissent et agrandissent » la représentation qu'il a de lui-même11.



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